les caramels

Publié le par BERNARD michel- jean

Les caramels

 

Ce soir, j’attends avec une certaine appréhension  le moment de me coucher.

 

Comme tous les soirs d’ailleurs.

En effet, je partage  une chambre minuscule avec mon frère Jean-Claude, de trois ans mon aîné. Deux lits, une armoire commune, deux minuscules bureaux où tiennent à peine un cahier et un stylo.

Le lit de JC est face à la porte, accoté au mur, en long. Le mien est à droite, devant la fenêtre, qui ferme mal et qui laisse passer un mistral glacé dés qu’arrive le mois de novembre.

D’où l’habitude de dormir la tête complètement enfouie sous les draps et couvertures. A tel point qu’un jour j’ai failli mourir asphyxié, car je m’étais complètement retourné et je cherchais désespérément  de l’air au fond du lit, écrasé par le poids des couvertures, en cherchant à respirer dans mon propre air vicié. Quelle angoisse ! Mourir étouffé  a toujours été une de mes peurs les plus grandes.

 

Bref, ce soir là je me demandais ce que JC allait bien pouvoir inventer pour m’humilier.

En effet, fort de ses trois ans d’ancienneté, il croyait avoir le droit de m’imposer sa volonté et il avait pris la diabolique habitude de m’infliger une brimade chaque soir.

 

Je me couchai avant lui et je l’entendis arriver. Il posa un paquet sur son chevet.

Se mit en pyjama, et se glissa dans les draps. Alors il se mit à ouvrir le sachet, faisant force bruit de papier froissé. On n’imagine pas le bruit assourdissant d’une feuille qu’on déplie sans précaution. Au cinéma c’est déjà gênant car on essaye d’entendre le dialogue des acteurs sur l’écran, mais dans le silence feutré d’une chambre c’est comparable aux chutes  du Niagara dans une conque marine.

 

Ca y est, me disé-je l’épreuve commence !

 

Je reconnus instantanément le bruit d’une enveloppe de bonbon qu’on défroisse, puis le glop du bonbon dans la bouche, suivi immédiatement de la mastication. Au chuintement caractéristique des mâchoires je devinais. C’était un caramel !

Mes propres papilles venaient de libérer leur flot de salive. L’épreuve prenait toute sa dimension! Le salaud !

 

Heureusement, des années de friction avec mon frère m’avaient endurci et j’avais mis au point une stratégie de défense tout à fait personnelle.

A l’instar du hérisson qui se recroqueville sur lui-même en présentant ses piquants à l’ennemi, j’avais développé la même façon de procéder.

Mes piquants à moi c’était les dards acérés que lançaient ma langue, et je ne me privais pas d’en user. Il faut dire que tous mes copains avaient pris l’habitude de m’appeler « mimi- pinson, mimi- pincette », car je m’étais fait une réputation de pince sans rire, aux interventions pas toujours appréciées  par la cible de mes moqueries mais grandement applaudies  par les rieurs, que je mettais toujours de mon côté.

 

Mais aujourd’hui  je n’allais pas tomber dans le piège de  supplier JC de me faire partager sa gourmandise. C’était exactement ce qu’il voulait. M’humilier. Me faire languette. Me laisser entrevoir que peut-être ……………Si je suis sage……………. Dans sa grande mansuétude, il me ferait l’aumône d’un demi-caramel. Non, c’était exactement le but recherché. Me faire entrevoir une issue favorable à ma supplique, pour au dernier moment, dire non avec son air de suffisance que je détestais, les coins de la bouche relevés comme Victor Mature jouant le traître au cinéma.

 

Fidèle à ma réputation de Prince de la Moquerie, je pris le parti de lui couper son plaisir en utilisant la technique du pêcheur. Une pique  pour appâter, une pique pour ferrer, une pique pour ramener.

« Attention à tes dents ! Tu sais, surtout ta première molaire gauche, celle du haut, celle qui est branlante, qui est prête à tomber ! »

Pas d’écho. JC fait la sourde oreille. Il enfourne un deuxième caramel.

 

« Si la dent se détache, tu vas l’avaler ! Et comme l’estomac ne peut la digérer, tu vas devoir l’expulser par l’anus ! Attention  la sortie ! C’est comme ça que commencent les hémorroïdes. »

Toujours le silence. Un troisième caramel suit le chemin des deux autres.

 

« Tu sais comme ça saigne une hémorroïde ! Remarque… ce que j’en dis, c’est pour ton bien ! »

JC fait toujours semblant de ne rien entendre et engame  un quatrième caramel après un ostensible froissement de cellophane.

 

Je décide d’en rajouter une couche.

« A propos, je viens d’apprendre à l’école que la matière dont tu es en train de délecter contenait un produit dérivé de l’acide cyanhydrique. Tu sais, ce qui entre dans la composition de la mort aux rats ! C’est un anti- coagulant sévère. Les pauvres souris meurent dans  d’horribles souffrances en se vidant de leur sang ! »

Pas de réponse. Mais un cinquième  caramel est avalé. Je crois cependant avoir deviné une hésitation.

« Avec tes hémorroïdes qui saignent, bonjour les dégâts ! Tu vas devoir utiliser un rouleau de papier –cul à chaque fois ! Remarque …. Ce que j’en dis, c’est pour ton bien ! »

Là, je l’entends grogner.

C’est bon signe, je sonne l’hallali.

 

« Et les vers, tu y as pensé aux vers ? »

Là je crois qu’il va craquer. Le rythme d’absorption des caramels se ralentit. Le sixième caramel semble passer difficilement entre les lèvres.

 

« Tu sais où ils vont pondre, les vers ? »

A ce moment là, alors que j’entendais distinctement les aller et retour des dents, le silence se fait. Je devine la mâchoire figée, prête à écraser la friandise, la salive tremblotante sur une langue chargée.

 

Je vais l’achever.

« Tout autour de  l’anus justement. »

Je pense qu’il ne doit plus avoir très faim tout d’un coup.

Le sixième caramel finit péniblement par passer dans la gorge après force déglutition.

 

« Et là, ça ne tarde pas à grouiller. Et même en te grattant ça n’arrange rien ! Car, plus tu te grattes,  plus les œufs éclosent ! »

 

« Mais tu vas la fermer, dis, Michel! »explose alors mon frère.

 

Ah ! Quand même ! A chacun son petit moment de gloire.

 

« Si tu crois que c’est comme ça que je vais t’en donner, tu te mets le doigt dans l’œil »

 

« Ah ! Mais non ! J’en veux pas de tes cochonneries! .Rends –toi malade tout seul !Mais ne viens pas te plaindre demain !Surtout que garder du sucre  toute une nuit dans les dents n’arrangent pas la dentition et bonjour les caries. Remarque …. Ce que j’en dis, c’est pour ton bien ! Alors, bonne nuit! »

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Sur ce je m’endormis rapidement, ma vengeance étant bien assouvie, non sans avoir entendu distinctement le bruit du sachet de caramels posé  pourtant en silence   dans la poubelle. Tiens, pensé-je, le sourire du vainqueur aux lèvres, dans une jubilation intense, il n’y aura pas de septième caramel. A-t-il été  sensible à mes arguments ou utiliserait-il le principe de précaution ?

 

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Le lendemain, au réveil, une fois mon frère parti au lycée, je n’eus qu’à me pencher, sortir le paquet entamé   de la poubelle et profiter pleinement des bienfaits de la confiserie française, qui comme chacun le sait est une des meilleures et des plus saines du monde.

 

 

Rognonas le 06/05/09

 

 

 

 

 

 

Publié dans mémoires

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