Le maillot en laine

Publié le par BERNARD michel- jean

Le maillot en laine

 

-« Non, je n’irais pas à la piscine ! »

-"Mais enfin Michel, toute la classe y va !"

-« Je ne sais pas nager ! »

-« Justement, c’est une excellente occasion d’apprendre ! »

-« Je n’ai pas de maillot ! »

-« T’inquiètes-pas, il y a toujours des maillots de dépannage à la piscine, pour les cas désespérés comme le tien ! », termina en souriant mon professeur dEducation Physique.

Décidément, je n’arrive pas à trouver d’argument valable aujourd’hui. Ca me ressemble pas ! Moi qui ai toujours la répartie facile et la pique assassine. Je ne dois pas être dans un bon jour.

Et c’est vrai que je ne la sentais pas cette journée. J’appréhendais confusément que ça allait se terminer très mal pour moi, mais je n’arrivais pas à échapper à la sortie  piscine.

Rien qu’à l’idée de devoir me tremper entièrement dans cet élément liquide appelée eau j’en avais les sueurs froides.

Moi qui ne me lavais que par petits bouts chez moi, faute de salle de bain.

Moi qui utilisais l’eau et le savon si parcimonieusement, comme si je pressentais déjà que la planète allait avoir  besoin d’être préservée dans ses réserves.

Moi qui ne connaissais pas la douche, mais le « tub », cette espèce de cercle percé de trous qui enserrait le cou et duquel jaillissait de petits jets d’eau pour mouiller tout le corps, en évitant bien entendu la tête. A tel point que ma mère, qui avait des lettres, inspectait soigneusement après chaque passage, mon collier de Jason, accumulation de la crasse sur mon cou, à la limite du tricot de peau, mes bracelets d'Empédocle -surtout l'hiver où je me lavais le matin, déjà habillé, les manches du pull-over descendues jusqu'aux poignets – et enfin les sourcils de Jonas, bourrelets de saleté, qui me faisaient ressembler à un homme du Néanderthal.

Moi qui hurlais chaque fois que ma mère me lavait les cheveux en me renversant la tête dans la bassine. Des yeux qui piquent avec le shampooing ou de la hantise d’être noyé, je ne savais pas quelle était alors la pire torture.

Alors, aller à la piscine, c’était comme faire monter courir le Marathon à un cul de jatte.

Mais Il faut dire que les beaux jours étaient là. Juin faisait déjà rissoler nos jambes mises en valeur par nos culottes courtes. Et la piscine d’Orange venait enfin d’ouvrir ses portes !Enfin, ses portes, c’est vite dit car pour l’instant il n’y avait que le bassin qui était creusé.

Il faut préciser que c’était l’armée de la Légion Etrangère, alors cantonnée à Orange,  qui s’était chargé de faire un grand trou, de le bétonner. Le propriétaire du terrain avait baptisé pompeusement cette excavation :  « Piscine de l’Oasis », comme pour rendre un dernier hommage à ces valeureux légionnaires qui venaient de subir des combats difficiles en Algérie, et il leur garantissait bien sûr la jouissance gratuite. Mais à la différence des paysans où la parole donnée est sacrée, notre personnage na jamais respecté son engagement. Pour lui jaurais pu inventer le dicton :contrat oral, contrat fatal. Et les pauvres bidasses nont jamais pu se tremper le moindre doigt de pied.

Le lycée de l’Arc où j’étais alors en sixième, nétait pas très éloigné de  « lOasis » et le moniteur dEPS navait pas eu de difficulté à obtenir de sa hiérarchie lautorisation de nous emmener à pied  jusqu’à ce lieu humide et sans fond que certains trouvent tellement  agréable qu’ils sy plongent avec délice.

Rien que l’idée que quelqu’un pourrait m’y pousser me faisait sortir des boutons sur tout le corps!

-« M’sieur, et si quelqu’un veut me pousser à l’eau ! ». J’essayais une dernière tentative.

-« T’inquiètes pas, Michel, c’est rigoureusement interdit et c’est moi qui vais surveiller la baignade.  Bon, par contre les enfants, n’oubliez pas cet après-midi d’amener 1F50 pour l’entrée. Rappelez  à vos parents que l’école paye la même somme. »

Je pensais bien me défiler et ne pas venir l’après-midi mais là encore je ne pus trouver d’excuse valable à donner à mes parents pour manquer l’école, et me voilà donc, en rang par deux, progressant vers le lieu de mon supplice comme la vache va à l’abattoir. Encore qu’elle, elle n’en sait rien, peuchère, alors que moi je comptais les pas qui me séparaient de mon Golgotha.

Arrivé à « l’Oasis » le moniteur d’EPS nous fit franchir les palissades encore en travaux et nous présenta au propriétaire des lieux.

Cétait un petit vieux, tout ratatiné, tassé dans une chaise-longue trop grande pour lui. Il semblait presque nu, hormis un ridicule slip qui le couvrait. Son crâne dégarni et parcheminé avait la même couleur cuivrée que le reste de son anatomie. On aurait dit quil avait déjà passé six mois au soleil, à cuire sa vieille peau.

Ses petits yeux mobiles et cupides nous virent avancer. Je le vis alors, tel un mendiant paresseux, tendre une main molle vers chaque élève qui passait devant lui, prendre l’argent, vérifier la somme d’un regard soupçonneux puis jeter négligemment les pièces dans un récipient  en fer blanc posé au sol, lequel rendait alors un bruit percutant de machine à sous.

Quand il avait à rendre la monnaie, je l’entendais soupirer et prélever quelques pièces d’un petit sachet qu’il avait au cou, mais jamais il ne reprenait d’argent de sa tirelire métallique. Jai su par la suite quil sappelait Taillesou. Il avait du être marqué par un tel patronyme.

Quand nous fûmes tous passé nous nous dirigeâmes vers les vestiaires. Et là évidemment, pas de cabines individuelles. Il fallait se déshabiller devant tout le monde ! Je reculais avec un sentiment d’horreur , en me rappelant que je n’avais toujours pas de maillot.

J’arrivais à la porte et me heurtais au moniteur qui, fièrement, me brandit une chose informe .

-« Tiens, Michel, c’est pour toi, comme promis. »

Je pris alors dans mes mains une espèce de caleçon en laine, verdâtre et à la maille bien lâche.

-« Rassure-toi, Michel, l’élastique est de bonne qualité, tu ne le perdras pas. »

Je regardais mon professeur en me demandant si c’était une plaisanterie .Mais non ; il avait l’air fort sérieux.

Avec un soupir, je me décidais à rentrer au vestiaire. Les autres avaient terminé. Ils ne me verraient pas ! J’enlevais prestement mes habits et m’affublais de l’objet informe qui était censé être un maillot de bain. Je n’avais même pas de serviette pour me cacher .

 

J‘arrivais au bord de la piscine, tout tremblant et déjà humilié de ne pas avoir mes propres affaires de bain.

Mais tout le monde était déjà en rang devant une autre torture :L’épreuve de la douche allait commencer !

Je le savais !Que la journée allait être longue !

 

Je ne pus qu’assister aux joyeux ébats de mes camarades qui avaient l’air de trouver ces jets d’eau froide sur leur corps aussi hilarants qu’une bonne claque dans le dos.

Quand ce fut mon tour, étant le dernier, et nétant pas observé, je franchis le rideau d’eau glacée à toute vitesse, sans respirer.

Ouf ! Ca c’était fait !

 

Le moniteur se tourna alors vers moi et entreprit illico de m’initier aux joies ineffables de la natation.

 

-« Voilà, Michel, pour commencer, tu vas simplement entrer dans l’eau progressivement en partant de l’escalier droit. N’aie pas peur tu n’auras de l’eau que jusqu’au nombril. Ensuite tu traverseras la largeur de piscine pour remonter par l’escalier gauche. »

 

A ce moment là j’ai su gré au moniteur de me permettre de me familiariser avec l’eau et je fis ce qu’il me dit.

J’entrais dans l’eau par l’escalier droit, j’avançais doucement dans l’eau en ayant de l’eau jusqu’au nombril et je remontais par l’escalier gauche.

La montée me fut un soulagement et jescaladais les barreaux quatre à quatre, tout à la joie d’en avoir fini avec cette première épreuve et  pour empêcher une peur panique de m’envahir.

Hélas, trois fois hélas, la rapidité de ma remontée avait eu raison de l’élasticité de mon maillot. Imbibée d’eau, la laine s’était distendue et la loi de la pesanteur aidant c’est tout le slip qui me glissa sur les chevilles en arrivant sur le carrelage .

Ce fut d’abord le silence autour du bassin. Les plongeons , les éclaboussements avaient cessé. Je n’osais plus bouger. Je ne pensais même pas à remonter quoique ce soit pour cacher ma nudité, comme si j’avais abandonné la partie. Jétais anéanti par un tel acharnement du sort.

 

Quelques rires commencèrent à fuser. Le rouge me monta au front.

Les regards commençaient à se diriger vers une partie de mon anatomie que je ne souhaitais pas dévoiler à l’ensemble de ma classe. La honte me submergea, même si, 68 nétant pas encore passé par là, la mixité des classes nexistait pas encore.

 

Je me sentis alors, misérable et dégoulinant,  l’objet de l’attention de tous. Les murmures, les ricanements s’enflaient.

 

C’est alors que, sans plus réfléchir, je me débarrassais de deux coups de pied rageurs de l’objet de ma honte, et me dirigeais vers les vestiaires, fièrement, nu , tournant mes pauvres fesses blanches et ratatinées  vers les  rieurs, arborant mon zizi, tout rétréci par l’eau, en piètre étendard .

Je nétais plus drapé que dans ma dignité offensée.

 

Je le savais que ce serait une mauvaise journée !

 

Ma seule revanche fut que je n’entendis plus parler de piscine au Lycée de l’Arc.

Je pense que peut-être le moniteur a du être passablement gêné par le tour qu'avait pris cette première sortie .Certes il n'y avait pas eu d'attouchement, mais chacun sait que l'éducation nationale supporte trés mal tout ce qui touche au sexe, et le professeur a sans doute craint des retombées parentales .
Pourtant je rentrais chez moi ce soir là sans piper mot de cette malheureuse affaire.J'avais mon honneur!

Par contre, fidèle à mon tempérament –Dun mal doit sortir un bien- je décidais dapprendre à nager le plus tôt possible.

 

Mais, ça, cest une autre histoire !

 

  Rognonas le 21 octobre 2009

 

 

 

 

 

Publié dans mémoires

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