le sursis

Publié le par BERNARD michel- jean

LE SURSIS

 

-« Papa , je veux une glace ! »

 

-« Oui , chéri, mais c’est pas le moment ! »

 

Je répondais avec un peu d’humeur à mon fils Rémy , deux ans,

Le pauvret, il ne savait pas que dans cinq minutes j’allais  affronter l’Armée Française.

 

Mon père , qui avait terminé sa carrière militaire dans l’aviation comme Adjudant-Chef,  citait constamment cet aphorisme :On n’a pas besoin de sortir de Saint-Cyr ……pour planter un clou ou bien pour passer  le balai, enfin toutes ces choses simples de la vie qui demandent plutôt un esprit pratique et sain qu’un cerveau embrouillé par des études trop poussées.

Or mon frère JC, justement, était entré à l’école militaire de Coëtquidant , en Bretagne et était donc sorti deux ans plus tard de Saint –Cyr ! Pour avoir déjà subi l’esprit retors et manipulateur  de mon aîné j’avais donc toutes les raisons de douter du comportement  spontané  et bienveillant  du gradé moyen . D’où l’inquiétude  sur l’issue de ma démarche auprès  du  bureau de recrutement militaire que j’allais solliciter.

 

J’étais à ce moment là étudiant en Sciences Physiques, préparant l’agrégation de Physique Appliquée, et j’avais une haute opinion de moi-même. Aussi, quand j’entreprenais une chose, c’était mûrement réfléchi et je n’avais pas de raison de douter du résultat mais avec deux militaires dans la famille , j’avais déjà eu un aperçu du raisonnement rigide de ce qu’on nomme familièrement la grande muette. Cependant  J’étais bien résolu à obtenir un résultat positif .

 

-« Maman , je veux une glace ! »

 

Evidemment , comme  Michèle m’accompagne , le gosse joue au yo-yo parental.

-« Papa vient de te dire que tu devras attendre !Et d’abord, il n’ y a pas de magasin. »

 

Ne jamais donner deux raisons de refuser quelque chose  à un gamin !Le temps qu’il assimile la première , vous avez alors une raison d’avance, parce qu’il reviendra à la charge, vous pouvez en être persuadé.

Mais ça fait plaisir d’être soutenu dans cette épreuve .

 

C’est que la partie est d’importance .Je dois aller au bureau militaire de la rue Saint-Michel faire valider mon sursis d’incorporation  dans l’armée .Je sais très bien qu’elle n’a pas besoin de moi mais apparemment , il y a quelqu’un dans cette vénérable institution  qui , lui , ne le sait pas.

J’espère ne pas tomber justement sur ce spécimen.

 

Me voilà donc , flanqué par ma tendre épouse, Michèle, et par le fruit de notre union , Rémy.

Comme je sens que  le combat va être difficile j’ai cru bon de mettre toutes les chances de mon côté, en venant en force.

 

-« Papa, regarde , un marchand de glace ! »

Catastrophe, on ne peut pas rentrer au bureau avec un gamin suçant un cornet !

 

Oh ! Puis après-tout !C’est un enfant.

 

Ainsi-donc , nous voilà , tous les trois entrant dans l ‘office militaire, le père et la mère d’un délicieux enfant léchant avec ravissement un sorbet à la fraise.

 

Après avoir décliné le but de ma visite , nous sommes reçus rapidement par un officier. Commandant , Lieutenant ou Capitaine , je n’en savais fichtre rien .

 

Debout devant lui, j’avais la désagréable impression que nous passions  le conseil de révision. Habillés cependant !

Et de plus ,comme je me laissais pousser à  l’époque les rouflaquettes et les cheveux longs à la Rollings -Stones , j’avais la désagréable sensation qu’il imaginait le tribut  de mes poils et de ma toison comme Vercingétorix  déposant ses armes aux pieds de Jules César.

 

-« Alors, Monsieur BERNARD, comme ça ,vous sollicitez un report d’incorporation ? »

 

-« C’est cela , mon Capitaine. »

 

-« Commandant . »

 

-« Comment ça ? »

 

-« Oui, je suis Commandant , pas Capitaine. »

 

-« Désolé, je n’ai pas fait mes classes ! »

 

-« Bien . Et pour quel motif ? »

 

-« Je n’ai pas fait mes classes parce que je n’ai pas été encore à l’armée , répondis-je étonné. »

 

-« Oui , j’entends bien , mais  pour quel motif demandez –vous un sursis ? »

 

-« Pour poursuivre la préparation de mon agrégation de Physique. »

 

-« Très bien , très louable, mais votre dossier montre que vous arrivez au bout des années que l’armée autorise pour ce genre d’études, et je me vois dans l’obligation de mettre un terme à votre sursis. »

 

Je m’en doutais. Jules César  a fait des émules . Sortons mon arme secrète.

 

-« Dans ce cas là , mon Lieutenant, je demande à être exempté du service militaire . »

Aie !Là ça va se gâter.

 

-« Ce n’est plus un simple sursis , cette fois, mais une désertion pure et simple ! »

 

-« Oh n’exagérons rien, mon Colonel , je ne peux pas déserter puisque je ne suis pas encore militaire. »

 

-« Commandant !Et je voudrais bien connaître la raison qui vous a poussé à faire une demande aussi extravagante. »

 

Ça y est !ça passe ou ça casse.

-« Eh ! bien voilà, vous avez pu remarquer que j’avais une adorable épouse et un ravissant garçonnet. »

 

-« Hmm,Hmmm, Je ne vois pas le rapport. »

 

-« Si vous regardez bien , vous verriez que mon épouse est enceinte. »

 Je venais de sortir mon arme secrète , et je me félicitais d’avoir insisté pour que Michèle m’accompagne .Avec son ventre provocateur, pas d’ambiguité !

« D’ici trois mois c’est pas un mais deux garçons que j’aurais. C’est pourquoi je demande à être exempté du service militaire comme soutien de famille . »

 

Le  commandant  semble estomaqué par une telle demande et a du mal à trouver ses mots.

 

-« Mais ,  mais enfin , l’armée vous a aidé, donné un sursis pour faire vos études et voilà comme vous la remerciez. Deux enfants ! »

Il devenait de plus en plus rouge et bredouilla encore, :

 -« Mais, mais , un sursis , c’est pas fait pour faire des enfants ! »

Il s’arrêta de respirer. je crus à un transport au cerveau. Mais il prit une soudaine inspiration et éructa :

-« Je refuse. »

 

Je m’en doutais. J’ai affaire au militaire borné qui me veut dans son unité.

 

-« Désolé , mon Adjudant, mais j’ai là un certificat de grossesse , qui atteste que mon épouse est enceinte, que l’enfant est viable , et que je suis dans mon droit. Ouf, je l’ai dit. »

 

Je tends mon certificat au Commandant qui s’en empare d’un geste brusque,  y jette un rapide coup d’œil , des fois que Michèle ait mis un oreiller sous sa jupe, et griffonne rageusement quelque chose sur mon livret militaire. 

 

Et , hautain et grand seigneur , il me congédia par ses mots :

-« Voilà , l ‘armée vous libère , Monsieur , puissiez vous obtenir votre agrégation de philosophie et travailler pour la patrie en continuant à procréer. »

 

« Pas agrégation de Philosophie , mon Général, agrégation de Physique. »

 

A ce moment là , ce qui devait arriver arriva. La loi de Murphy venait encore de frapper. Rémy venait de renverser sa glace sur le pas de la porte. Une boule de fraise s’étalait dans toute sa carmine beauté.

 

« La philosophie , je vous la laisse. »

 

 

 

 

                                                                        Rognonas le 23 Avril 2009

 

 

 

 

 

Publié dans mémoires

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